Narration partagée/ Agentivité sauvage!


Un récent article sur l'incontournable site PTG/ PTB titré "comment tuer l'ogre quantique" a bien utilement synthétisé une partie de ma pensée concernant l'agentivité des participant.e.s dans mes propositions de sessions rôlistiques, et plus particulièrement pour CàlT. Alors, je précise que ma perception de la liberté d'action est toujours un vœu pieux, et que seul.e.s quelques novices osent s'emparer de l'univers afin d'y évoluer plus librement, tandis que mes vieux et vieilles briscard.e.s continuent à subir le sadisme retors de leur Metteur en scènes.

Je vous encourage vivement à vous pencher sur l'article en lien plus haut, il donne quelques pistes afin de ne pas commettre de grossières erreurs en cours de jeu, de celles qui gâchent réellement le plaisir. 
Concernant plus précisément Comme à la télé, je le mentionne à chaque début de session; Le sérivers que NOUS allons explorer ensemble est autant aux participant.e.s qu'au Metteur en scènes. J'encourage mes camarades de tablée à influer activement sur l'environnement, à s'approprier des rôles secondaires, des figurants, jusqu'à décider d'eux-mêmes quoi faire. Et je ne leur parle pas ainsi pour ensuite avoir tout l'après-midi de libre, à siroter des cocktails en ricanant depuis la pièce voisine, entendant leurs aventures en totale roue libre. Non. Mon souhait est bien de partager la narration avec mes camarades, de créer un réel échange dynamique, plutôt que de devoir continuellement les guider dans un environnement sur lequel ils et elles n'ont aucune prise, ne veulent aucune prise, et au sein duquel ils et elles rebondissent d'une rencontre à l'autre. Cela ne me plaît pas, où plutôt, cela ne me plaît plus. Je pratique le loisir depuis quelques décennies, et durant longtemps, la notion de maître du jeu tout puissant ne me questionnait même pas. Mais depuis une dizaine d'années, depuis que j'accueille des novices, je sens bien que les intrigues à tiroirs, les univers riches et complexes, les coups fourrés et surtout, les pavés de règles, tout ceci éloigne les gens du jeu de rôle. Oh bien entendu, avec l'expérience vient une méthode douce pour introduire toutes ces choses, mais l'explosion du jeu dans la culture pop, la gamification professionnelle, et tout simplement le soi-disant manque de temps font que les potentiels nouveaux et nouvelles rôlistes sont un peu plus sensibles à ce qu'on leur propose, et sentent souvent venir le fameux troll quantique à des kilomètres. 

Bref. Je ne cacherai pas que mon approche actuelle du jeu de rôle est surtout égoïste. Je veux être surpris, je veux avoir de véritables défis, et laisser mes compagnons prendre une partie des rênes de la narration me plaît bien. Mais qu'est-ce donc que cela veut-il bien dire? Tout simplement que pour la plupart des questions posées par les participant.e.s durant la partie, c'est bien à eux d'y répondre. "Est-ce que je connais une top-modèle spécialiste en physique nucléaire?", "Où se trouve le plus gros dépôt d'armes de la ville?", "Connaissons-nous un groupe capable de tenir tête à ce roi fou?", ce sont là des questions que je ne souhaite plus entendre, et à leur place, je veux des affirmations, des certitudes, des adresses. Et je veux aussi de la crédibilité! 


Oui car j'ai bien conscience que cette manière de faire est loin d'être évidente, tout particulièrement pour des novices. Je sais bien que l'imagination est un muscle un poil atrophié dans cette société, et que ce fichu quotidien n'aide pas les gens à rêver, à puiser de l'inspiration. J'entends ou lis trop souvent que celles et ceux qui viennent découvrir le jeu de rôle ne veulent pas se prendre la tête, que c'est au maître du jeu de faire le boulot en offrant du pré-mâché, cela avec l'inévitable répétition du "oui, le jdr, c'est bien, mais c'est compliqué". Je sais bien que l'arrivée dans le loisir est pour le moins perturbante, mais l'expérience de la narration partagée, l'appropriation du sérivers, même avec de simples petits détails pour démarrer - "je cherche une voiture... J'en vois une plus loin" - cela renforce le plaisir, le décuple, comme la dégustation d'un bon pécorino au poivre bien affiné (oui, à ce point). 

Les participant.e.s ont peur. Peur de mal faire, de ne pas avoir bien compris les tenants et aboutissants du sérivers, voir, du jeu de rôle en général. C'est une émotion difficile à contrebalancer, particulièrement lorsque nous échangeons avec des inconnus, que nous ne reverrons probablement pas ensuite. Malgré les discours d'ultra-positivisme bien marketés, tout est fait pour générer cette peur au quotidien, et dans le cadre d'un loisir comme le jeu de rôle, elle apparaît rapidement, et je pense que c'est au Metteur en scènes de l'atténuer avec les outils à sa disposition, et plus simplement avec une mise en confiance dans un univers imaginaire. L'intérêt est évidemment double; Le ou la participant.e prendra confiance dans ses actes, et viendra ainsi nourrir le sérivers avec des choses personnelles - d'accord, le sérivers est souvent nourris à coup d'actions stupides - pour moi il s'agit là du fondement du jeu de rôle, l'idée d'utiliser son imaginaire afin de se grandir. 


Je titre agentivité sauvage, et recherche réellement cela. Les intrigues que j'aurai pu développer pour la session passent au second plan, je préfère largement que mes participant.e.s s'amusent dans des délires qui leurs sont propres, plutôt que devoir sans cesse les guider dans des aventures auxquelles ils et elles n'entraveront rien. Cela étant, j'ai conscience qu'une telle méthode nécessite une dose importante d'improvisation. Cela s'apprend, se développer, et le premier pas reste bien celui de lâcher cette manie du tout-contrôle. Ce que je recherche, ce sont des interactions déstabilisantes, des situations imprévues, improbables, qu'il me faudra régler de manière crédible. Avec l'expérience, je me rend compte que bien peu d'imaginaires osent déborder dans le jeu, mais je ne désespère pas, et savoure par avance le moment où mes camarades me laisseront sans voix, rebondissant les uns les autres sur leurs idées farfelues en créant eux-mêmes de nouveaux épisodes. Là, je pourrai aller siroter mes cocktails en toute quiétude.

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